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Loi Duplomb : Les deux agricultures françaises

Grand Dieu, dix tracteurs se sont garés devant l’Assemblée nationale ce lundi ! Presque un encerclement. Un siège. Une révolution ! Ils ont même été rejoints dans l’après-midi par deux-cents agriculteurs, montés en bus à la capitale. Sans leurs fourches, mais tout de même, un cortège de 200 manifestants ça fait peur. D’autant que leur message est clair : « Il faut défendre la proposition de loi Duplomb ». Aïe ! Avec son modèle destructeur pour les paysans ? Oui. Tant pis pour l’environnement et la santé ? Absolument ! Tous les agriculteurs sont-ils d’accord ? Et bien non !

Voici donc qu’une contre-manifestation était organisée place de la République, ce même lundi. À l’initiative de l’ONG Max Havelaar France, qui défend depuis toujours les valeurs du commerce équitable et la rémunération juste des producteurs, rejoignant en cela la Confédération Paysane : « En France, un agriculteur sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. La situation est indigne. La juste rémunération est la vraie urgence pour les agriculteurs », rappelle Max Havelaar France. Et d’ajouter : « Moins de pesticides sont souhaitables, et possibles si l’on aborde en transparence la question des revenus ».

Allons bon, que vient faire ici la question des pesticides ? Et bien c’est tout l’objet de la proposition de loi Duplomb, que soutiennent la FNSEA, le lobby de l’agriculture intensive, les céréaliers, les betteraviers, les industriels de l’agro-alimentaire et les propriétaires du foncier agricole, mais à laquelle s’opposent la Confédération paysane, les agriculteurs bio et les associations écologistes et environnementalistes. 

Nous avons deux agricultures en France, c’est une évidence. Celle d’en haut et celle d’en bas. Celle des riches et celle des pauvres. Celle du court terme et celle du long terme. Celle qui veut des insecticides pour des rendements immédiats, et celle sauve les abeilles pollinisatrices pour garantir les rendements futurs. Bref, celle qui vend et celle qui nourrit. 

Ce que propose le sénateur Laurent Duplomb

Or, la proposition de loi Duplomb propose de réautoriser plusieurs néonicotinoïdes «tueurs d’abeilles», de réautoriser le double métier de conseiller-vendeur de pesticides empêtré dans ses conflits d’intérêt, d’exempter d’étude d’impact les élevages de taille “moyenne”, de faciliter les projets de stockage d’eau et les mégabassines, de ne plus protéger certaines zones humides indispensable à la biodiversité, de calmer les ardeurs de la police de l’environnement… 

Nos confrères de “Vert, le média”, résument ainsi la situation : « Ce qui se joue là est dramatique. Alors que l’urgence écologique appelle à une transition agricole beaucoup plus soutenue, c’est la destruction accélérée du vivant qui nous pend au nez. Et avec elle, à la clé : un danger de plus pour notre santé et celle de nos enfants ».

Mais pourquoi donc cette proposition de loi Duplomb ? Pour augmenter le revenu des agriculteurs, pardi : davantage de pesticides et plus d’eau promettent plus de rendement, donc plus de chiffre d’affaires, donc un meilleur revenu pour les gestionnaires d’exploitation, c’est super, non ? Euh, y a-t-il aussi plus de revenu à la clé pour leurs salariés, leurs intérimaires, leurs saisonniers ? Bon, arrêtez avec vos questions sur le ruissellement, on verra ça plus tard.

Mais Blaise Desbordes, directeur général de Max Havelaar France, rappelle que le vrai sujet, c’est la rémunération des producteurs : « Il est temps que les parlementaires agissent. Nos propositions sont prêtes : prix planchers garantis, nouvel objectif équitable EGAlim, paiement pour services écologiques… Il s’agit de leur permettre d’avoir un revenu digne, mais aussi les moyens de réussir la nécessaire transition écologique. »

Oui mais, et si le sénateur Duplomb avait raison, les arguments des associations seraient-ils donc abscons ? Que nenni, mon petit !

L’opposition des ONG et de la société civile

Le Collectif Nourrir, par exemple, appelle les parlementaires à s’attaquer aux causes profondes des dysfonctionnements de notre système agricole et alimentaire, mais à rejeter cette proposition de loi qui favorise des modèles industriels coûteux et polluants, au détriment d’une agriculture résiliente et respectueuse de l’environnement nécessaire et souhaitée par 85% des agriculteurs. « Cette loi pourrait compromettre durablement nos capacités à répondre à l’enjeu de souveraineté alimentaire, érigé comme majeur par nos politiques publiques », souligne le collectif.

Surtout, cette loi « prétend répondre aux préoccupations des agriculteurs, mais ignore en réalité les causes structurelles de la crise agricole : instabilité des revenus, injuste répartition de la valeur dans les filières, absence d’accompagnement à la transition agroécologique et à l’adaptation au changement climatique ». Non, cette proposition de loi n’arrangera pas le revenu des petits producteurs, seulement celui des gros.

Loin de lever les contraintes, ajoute Mathieu Courgeau, éleveur et co-président du Collectif Nourrir, cette proposition de loi les amplifie et va à l’encontre des attentes des citoyens qui ont déjà effectué près de 140.000 interpellations auprès de leurs élus pour appeler à son rejet. Rappelons donc ici le rapport de forces : 140.000 citoyens, 10 tracteurs ! 

Enjeu crucial pour la filière bio

Boris Tavernier, député de la deuxième circonscription du Rhône, nous interpelle sur LinkedIn: « C’est bio la France ! Mais pour combien de temps encore » ?  Présent la semaine dernière pour l’anniversaire des 40 ans du logo AB, il rappelle : « La bio c’est du sérieux, ce sont des milliers d’agriculteurs, des éleveurs, des maraîchers, des transformateurs, des artisans, des cuisiniers, des cantiniers, des distributeurs, des épiciers. Bref, la bio, c’est toute une France au travail pour une alimentation plus durable ». 

Mais au lieu de célébrer la bio et de fixer un cap politique clair, le gouvernement Bayrou préfère soutenir le sénateur Duplomb, la FNSEA et les néonicotinoïdes. « Plutôt que d’œuvrer à la construction de filières alimentaires biologiques, réellement souveraines car émancipées d’intrants importés (…) le gouvernement condamne la majorité à une alimentation de mauvaise qualité », résume Boris Tavernier.

Tiens, le gouvernement Bayrou vient d’annoncer une coupe budgétaire drastique pour l’Agence bio de 15 millions d’euros, soit 64% de baisse de ses moyens de fonctionnement. Et quand on y regarde de plus près, on (re)découvre que c’est le sénateur LR Laurent Duplomb qui avait proposé en début d’année un amendement visant à supprimer purement et simplement l’Agence bio, dans le cadre de l’examen de la loi de finances. La ministre de l’agriculture Annie Genevard l’avait alors clairement soutenu.

En attendant, la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, et celui de l’Intérieur, Bruno Retailleau, se sont offert ce lundi un petit bain de foule, honorablement médiatisé, parmi les agriculteurs de la FNSEA réunis devant l’Assemblée, avec cet argument à leur adresse : « C’est notre souveraineté alimentaire qui se joue aujourd’hui ». Entendez-là : « Nous sommes d’accord avec vous, il faut moins de contraintes pour vos exploitations ».  

Dans le camp d’en-face, aucun ministre n’a fait le déplacement place de la République. Mais la proposition de loi Duplomb, finalement rejetée hier soir à l’Assemblée, n’est pas du tout enterrée : elle va maintenant faire l’objet d’une commission mixte paritaire, dont l’objectif sera de trouver le moins mauvais consensus possible. Le Collectif Nourrir dénonce déjà un « contournement dangereux du débat démocratique ».

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