Assurément, le Medef reste le Medef. Il est la voix du grand patronat libéral. L’esprit de la compétition mondiale. Le défenseur de la souveraineté industrielle. Le chantre du moins d’impôt, moins de barrières, moins de contraintes… Son président Patrick Martin a été clair, allant jusqu’à déclarer que la droite extrême était « la plus consciente des périls économiques ». Pour autant, l’économie sociale et solidaire était non seulement présente, mais particulièrement visible, lors de l’événement de rentrée du Medef, au stade Roland-Garros. N’en soyez pas surpris, j’y étais aussi !
Car voici qu’à peine franchi le portail de la Rencontre des Entrepreneurs de France – la REF 25 pour les intimes – s’étire une ribambelle de stands de mutuelles : Aésio, Malakoff Humanis, AG2R La Mondiale, Apicil… À peine plus loin, voilà l’Agence Erasmus+, qui soutient les associations sur fonds européens. Ou encore Action Logement, reconnue d’utilité sociale. Et même l’association de protection de l’enfance IM’Pactes.
Pourquoi l’ESS vient frapper à la porte du patronat
Mais que faisaient-elles là, dans ce parterre d’entreprises que l’on voudrait croire obnubilées par l’appât du gain et assoiffées de rendements infinis ? Et bien l’ESS était présente autant pour porter un plaidoyer auprès des personnalités politiques qui déambulent dans les allées – le directeur d’Admical a fait un selfie avec Eric Lombard – que pour prospecter les entreprises privées : il faut bien trouver de l’argent pour financer l’intérêt général, que diable, puisque le ministre de l’économie Eric Lombard n’en a plus !
Par bonheur, aujourd’hui, les entreprises s’engagent. Pas toutes. Mais bien plus qu’hier !
C’est ainsi que j’ai été convié par l’Alliance pour le Mécénat de Compétences à animer la 4e Rencontre des Présidents des grandes entreprises françaises, engagées justement pour le mécénat de compétences. Résumons d’une phrase cette forme de mécénat, si vous n’êtes pas familiers du concept : avec le mécénat de compétences, les entreprises prêtent des collaborateurs à des associations, pour leur faire bénéficier gratuitement de compétences professionnelles. En somme, un dispositif passerelle entre les entreprises et l’économie sociale et solidaire.
Ces DRH qui veulent faire de l’engagement un parcours professionnel
Durant notre rencontre, mon objectif était clair : découvrir comment les entreprises affinent leur stratégie à la fois RH et business sur la question de l’engagement des collaborateurs. En termes RH, la quête de sens est un argument chaque jour plus évident, du recrutement jusqu’à la fin de carrière. Mais j’observe que la réflexion a beaucoup avancé depuis dix ans, lorsque Justine Coutard (Groupe ADP) et Audrey Richard (ANDRH et Canal+) disent la nécessité de transformer l’innovation managériale d’hier en un véritable parcours professionnel pour tous les collaborateurs.
En termes business aussi – nous sommes toujours à La Ref 25 ! – je découvre que certains patrons se saisissent en direct des enjeux du mécénat de compétences. Tiens donc, comment calculez-vous le ROI du mécénat de compétences, demandais-je, autrement dit son « retour sur investissement » ?
Benoît Derigny (Manpower), explique que le partenariat associatif nourrit clairement son écosystème professionnel. Mais il peine à en chiffrer l’impact et sollicite l’appui de l’Impact Tank pour mieux le mesurer. De son côté, Pascal Imbert (Wavestone) impose que 1% du temps de travail des collaborateurs soit dédié au mécénat de compétences, car l’engagement renforce sa productivité. Mais il s’interdit de prendre des associations partenaires parmi ses clients pour éviter tout conflit d’intérêt.
Des entreprises plus mûres, moins obsédées par la défiscalisation
Dans leur relation aux associations, les entreprises mûrissent et c’est heureux. Les partenariats qu’elles nouent peuvent avoir une visée non seulement morale ou éthique, mais aussi économique, territoriale et écosystémique. Étonnamment pour moi, aucune n’a mis en avant la défiscalisation du mécénat comme argument pour développer l’engagement collaborateur. Elles n’ont finalement évoqué la fiscalité que pour demander au gouvernement – en sursis – de ne pas changer les règles du dispositif.
Sur la scène principale de la REF 25, en revanche, l’ambiance était assez différente. Le ministre de l’Economie est venu torpiller une fois de plus les réglementations environnementales européennes (CSRD et CS3D) et défendre à nouveau son projet d’économies budgétaires massives. Il a été applaudi par la direction du Medef.
Sur la grande scène : austérité, souveraineté et menaces militaires
Quant au ministre de la Défense, Sébastien Lecornu, il a pour sa part ouvertement appelé les entreprises à mobiliser leurs collaborateurs pour accélérer le redressement industriel, l’autonomie stratégique et la souveraineté nationale face aux menaces militaires mondiales. Et cela, pas seulement dans les entreprises de l’écosystème de la défense : il a relevé que le circuit de l’innovation, jadis d’abord militaire avant d’entrer dans le domaine civil (comme avec Internet) s’est à présent inversé. Les drones civils ont en effet trouvé des applications militaires déterminantes, ce qui l’invite à inviter l’ensemble des travailleurs du secteur privé à réfléchir à la défense du pays !
Heureusement que l’ESS était là pour éviter la déprime générale !
Heureusement aussi, le mouvement Impact France ouvrait le lendemain ses Universités d’été de l’économie de demain, nommées cette année « Retour vers le futur – Le court-terme a gagné, le temps long réclame sa revanche ». Quelques notes d’espoir à horizon long terme donc, couplées à un appel de 150 dirigeants d’entreprises à reconstruire les conditions de notre souveraineté commerciale européenne en soutenant l’excellence de nos entreprises et de notre modèle social.
Au travers des 50 réseaux qui le composent, Impact France revendique à présent 30.000 entreprises adhérentes, c’est énorme ! Mais le Medef compte pour sa part 200.000 adhérents.