Alors que vient de se terminer la conférence des financeurs de l’ESS, c’est une parole forte qu’est venu exprimer Mickaël Huet, délégué général du Mouvement associatif, dans l’émission ESS On Air de Mediatico qui replace l’économie sociale et solidaire au coeur de l’actualité (interview vidéo, ci-dessous en intégralité)
Une association française sur deux rencontre en effet aujourd’hui des problèmes de trésorerie. Parmi les associations employeuses, la situation est encore plus grave : 70 % ont des fonds propres fragiles et un tiers d’entre elles pourraient ne pas tenir plus de trois mois sans rentrée d’argent. C’est l’enseignement principal de la dernière enquête publiée par Le Mouvement associatif, le Réseau National des Maisons des Associations (RNMA) et le syndicat employeur Hexopée, dont nous avons déjà parlé sur Mediatico.
Des chiffres choc, qui mettent en lumière l’ampleur d’une crise associative jusqu’ici largement sous-estimée. Et qui confirment, s’il le fallait encore, la fragilité structurelle d’un secteur pourtant essentiel à la cohésion sociale, à la vitalité démocratique et à l’innovation citoyenne.
« Cette crise est violente, elle touche tous les secteurs, et elle offre peu de perspectives », alerte Mickaël Huet. « On a peur des conséquences, notamment en termes d’emploi, de développement, de fonctionnement, d’actions territoriales… Mais aussi d’engagement, tout simplement. Car comment encourager les citoyens à s’impliquer dans une association si celle-ci est au bord du gouffre ? »
Un secteur qui tient bon, mais jusqu’à quand ?
L’étude, fondée sur une vaste enquête de terrain, dresse un constat inquiétant mais sans surprise pour les professionnels du secteur. Depuis plusieurs années déjà, les signaux faibles se multiplient. « Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) l’avait déjà annoncé : les associations vont mal, et les choses risquent de s’aggraver sans action politique forte », rappelle Mickaël Huet.
Les causes sont multiples : retards de versement des subventions, conséquences des budgets publics votés tardivement, retrait progressif des financements publics récurrents, multiplication des appels à projets complexes et incertains, sans oublier une méconnaissance profonde du modèle associatif par une partie du monde bancaire.
Résultat : les associations doivent puiser dans leurs réserves, rogner sur leurs actions, ralentir leurs embauches, voire supprimer des postes. Et cela concerne aussi bien les petites structures de quartier que les grandes associations nationales. Le phénomène est massif, transversal, systémique.
L’intérêt général n’est pas une marchandise
« Nous sommes arrivés au bout d’un modèle, affirme Mickaël Huet. Pendant des décennies, les associations ont été financées via des subventions pluriannuelles, qui leur donnaient les moyens de se projeter, de se structurer, de se développer. Aujourd’hui, ces financements sont souvent remplacés par des appels à projets à court terme, qui déstabilisent le fonctionnement des structures. »
Face à cette évolution, certaines associations cherchent à développer des ressources propres : prestations, mécénat, dons, partenariats avec des entreprises… « Mais on ne peut pas leur demander de se débrouiller seules. L’intérêt général n’est pas une marchandise, et il ne peut pas être financé uniquement par le marché. Il y a là une responsabilité politique collective. »
Une conférence des financeurs… pour sortir de l’impasse ?
Alors que nous enregistrions cet entretien, une conférence des financeurs de l’économie sociale et solidaire était sur le point de s’ouvrir à Bercy, réunissant pouvoirs publics, collectivités, fondations et réseaux de l’ESS. Un premier pas, salué par Mickaël Huet : « C’est important que la ministre de l’Économie sociale et solidaire ait pris la mesure de l’urgence. Il faut d’abord partager un état des lieux, se mettre d’accord sur les données. Ensuite, réfléchir ensemble à des solutions. »
Parmi les propositions portées par le Mouvement associatif :
• Des mesures d’urgence financière, pour aider les associations à passer le cap des prochains mois.
• Une meilleure visibilité à long terme, via un retour à des financements pluriannuels.
• Une réforme fiscale favorable aux associations, qui passe notamment par une simplification du crédit d’impôt sur les dons et une révision du régime de TVA pour éviter une distorsion de concurrence.
Mais au-delà des dispositifs, c’est un changement de regard que réclame le secteur. « La vie associative n’est pas un gadget. C’est un pilier de notre démocratie. Elle permet à chacun de s’impliquer localement, de se former à la citoyenneté, de faire société. »
Imaginer un nouveau système de financement
Et demain ? Faut-il inventer un autre modèle de financement de l’intérêt général ? C’est l’ambition portée par le CESE, qui propose d’imaginer un mécanisme de financement partagé, au niveau national ou territorial. Sur certains territoires, des expérimentations sont déjà en cours : conférences locales des financeurs, contrats de ville élargis, dispositifs co-construits associant collectivités, État, fondations, citoyens…
« Nous en sommes encore au stade de la réflexion, précise Mickaël Huet. Mais une chose est sûre : on ne peut plus continuer comme avant. Il faut revoir le financement de l’intérêt général dans ce pays. »
Une alerte à prendre au sérieux
En creux, cette crise financière pose une autre question, plus fondamentale : quelle place voulons-nous donner aux associations dans notre société ? Leur confiera-t-on encore demain la lutte contre l’exclusion, l’animation des quartiers, l’accompagnement des personnes âgées, la transition écologique, l’éducation populaire, l’accès à la culture, l’innovation sociale… ?
Ou considérera-t-on, à force d’inertie, que l’engagement bénévole, l’emploi associatif et l’action territoriale sont devenus des variables d’ajustement budgétaire ?
« Les associations tiennent la société française. J’espère qu’elles vont résister », conclut Mickaël Huet.