Il ne s’agit plus de signaux climatiques faibles. Les sirènes carillonnent sur les gaz à effet de serre (GES). Suites aléatoires de la COP21. Démission fracassante de Hulot. Rapport du GIEC en octobre. La planète court à une catastrophe annoncée. Chirac disait « la maison brûle » comme on dit « au loup », sans trop y croire. Si vous avez observé les sols cet été, vous avez constaté les dégâts : cramés !! Température d’été 2018 supérieure à la normale de 2 degrés ; 15 mm de pluie sur Paris en septembre/octobre, chiffre le plus bas depuis le premier relevé en 1873.
Cette fois le feu est déclaré, au sens propre. Mais chez les dirigeants, on compte peu de « Churchill du refus ». Le fameux « Vous avez eu à choisir entre la guerre et le déshonneur, vous avez choisi le déshonneur, et vous aurez la guerre » pourrait s’appliquer à la démission écologique des dirigeants du monde. Cécité, surdité, lâcheté, cynisme, intérêts… débouchent sur des risques de bouleversements planétaires.
Ils regardent ailleurs, à nous donc de jouer : aux actes citoyens !!
A son modeste niveau, et sous un angle ESS, le Labo a lancé le chantier de la transition énergétique citoyenne, en proposant sa méthode, » REVE » : résister, expérimenter, voir loin, évaluer. Nous avons débuté par les énergies renouvelables (rapport dirigé par Patrick Gèze) montrant que les citoyens pouvaient consommer, produire, financer des ENR. Nous avons enregistré quelques succès comme la création par la CDC et l’ADEME du Fonds EnRciT pour financer l’ingénierie de projets citoyens.
Nous poursuivons maintenant cet engagement par le sujet de la sobriété énergétique, beaucoup plus délicat, mais essentiel. Je remercie Patrick Behm et le groupe de travail du Labo qui viennent de remettre un rapport de grande qualité, fourmillant de propositions. Il démontre que, dans le triangle d’or de la transition énergétique, nous sommes en progrès sur deux côtés, l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables, mais que la sobriété reste le parent pauvre.
Ainsi, grâce à davantage d’efficacité énergétique, la part de l’industrie dans la consommation a baissé entre 1973 et aujourd’hui de 45% à 23% du total de la consommation. Côté ENR, s’il reste beaucoup à faire, la puissance des panneaux photovoltaïques a été multipliée par 10 entre 2010 et 2017, l’éolien a progressé de 250%. Pour autant, ces progrès ne font pas chuter une surconsommation énergétique menaçante pour le climat. On parle d’ébriété énergétique. Il manque bien le troisième coté du triangle le plus douloureux, le plus complexe : la sobriété.
La sobriété est l’enjeu le plus difficile car il implique un virage des consciences. Changer des comportements acquis se révèle d’autant plus difficile que, comme le dit notre Rapport, nous ne disposons pas de « Récit » mobilisateur. Être sobre n’est pas sexy dans un monde hédoniste et individualiste. On préfère danser sur un volcan. Même l’accord de Paris a fait l’impasse sur le sujet sobriété qui touche de trop près à la sacro-sainte croissance.
La sobriété est un objectif complexe car il comporte des aspects structurels (qualité des transports en commun), dimensionnels (équipements surdimensionnés), d’usage (limitation de l’utilisation des équipements), ou coopératifs (mutualisation des biens). Il ne sert donc à rien d’aborder le sujet en « docteurs Yakafocon » ou en donneurs de leçon morale.
La bataille de la sobriété commence (clin d’oeil à la bataille d’Angleterre !), celle des forces de vie contre les forces mortifères. L’ESS doit y prendre une place bien plus grande qu’elle ne le fait maintenant. Seront crédibles dans quelques années ceux qui auront anticipé et résisté à la menace, comme le fit un Conseil National de la Résistance. L’ESS doit être à la pointe du combat en faisant d’abord en sorte que le Récit social et solidaire et le Récit de la transition écologique ne forment qu’un seul et même Récit, mobilisateur, prophétique du monde de demain, respectueux et des hommes, et de la biodiversité, et de la planète.
Ensuite en sachant résister, expérimenter, proposer… à trois niveaux : micro, mezzo et macro.
Le niveau micro est celui des changements de comportements individuels. La transformation personnelle précède la transformation sociale, mais elle est très difficile. Les entreprises de l’ESS peuvent mobiliser leurs collaborateurs sur la sobriété énergétique au travail. L’associationnisme peut aussi faire en sorte que l’individu ne soit pas seul entre le marché et l’État, pour gagner en sobriété. Si la sobriété énergétique est affaire d’éducation, les 1,3 millions d’associations et les 13 millions de bénévoles ont un immense terrain de jeux d’éducation populaire. L’ESS peut s’appuyer aussi sur toutes les formes de coopération innovantes pour partager des usages. Après Enercoop saluons la naissance de Moby coop, coopérative de co-voiturage libre. L’histoire et la culture de l’ESS sont celles de l’engagement. Une valeur indispensable à la bataille de la sobriété.
Le niveau mezzo est notamment celui du territoire et des regroupements. Le Labo de l’ESS est très engagé à ce niveau comme le démontrent ses travaux sur les circuits courts, les PTCE, l’alimentation durable, les nouvelles dynamiques des territoires pionniers. L’ESS peut jouer un rôle croissant pour impulser avec d’autres à ce niveau mezzo de nouveaux écosystèmes plus sobres avec des modèles économiques innovants. Car la question des modèles économiques est l’obstacle central. Par quoi remplacer une croissance surconsommatrice d’énergie ? L’ESS peut contribuer à inventer un modèle post-croissance.
Enfin le niveau macro où se jouent les politiques nationales, européennes, mondiales reste essentiel. Ne jetons pas le bébé État avec l’eau du bain. La sobriété a besoin de régulations, de politiques incitatives. C’est évident par exemple pour la politique d’éducation nationale et d’aménagement du territoire avec les transports en commun. Il serait opportun que le prochain PACTE ESS comporte un volet sur la sobriété énergétique. Nos formes juridiques (SCIC), nos modèles économiques non lucratifs, notre présence sur tout le territoire, notre potentiel militant font de l’ESS un partenaire « naturel » de politiques publiques de sobriété. Notre Ministre n’est-il pas ministre de la transition écologique et solidaire ?
Hugues Sibille,
Président du Labo de l’ESS