Le nouveau gouvernement a du pain sur la planche ! Président du Groupe VYV, premier acteur mutualiste de santé et de protection sociale en France, Stéphane Junique plaide pour une refondation du système de santé autour d’un principe simple : la solidarité. Invité de ESS On Air, l’émission de Mediatico qui décrypte l’actualité du point de vue de l’économie sociale et solidaire, il appelle le gouvernement Lecornu et sa ministre de la Santé, Stéphanie Rist, à adopter une vision de long terme, loin des logiques comptables et des dérives de la financiarisation du soin.
Au moment où se préparent dans l’urgence le prochain budget pour la France et le prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale, Stéphane Junique met en garde : « Nous sommes sur une trajectoire de déficit inédit – près de 22 milliards d’euros en 2025, dont 14 milliards pour l’assurance maladie. Mais il ne faut pas que la réduction du déficit se fasse au détriment de l’accès aux soins », défend-il.
Pour lui, le PLFSS ne doit pas devenir un simple exercice budgétaire, mais « s’inscrire dans une stratégie nationale et pluriannuelle de financement de la santé », seule à même de répondre aux grands défis de demain : vieillissement de la population, pathologies chroniques, santé environnementale : « La ministre Stéphanie Rist devra rapidement apporter la visibilité attendue par l’ensemble des acteurs de santé, qui peinent aujourd’hui à se projeter. Dix ministres de la santé se sont succédé depuis 2017 : ce renouvellement permanent illustre la nécessité d’une vision durable et partagée, qui ne limite pas les questions de santé au seul sujet budgétaire, mais qui soutient l’accès aux soins ».
Franchises médicales, Aide médicale d’État : « On prend le risque d’abîmer la santé »
Alors que les gouvernements successifs se focalisent les économies budgétaires à réaliser, Stéphane Junique s’était déjà érigé, dans une tribune publiée cet été dans Libération, contre deux décrets de l’ancien gouvernement Bayrou : l’un sur le doublement du plafond des franchises médicales, l’autre sur la remise en cause de l’Aide médicale d’État (AME).
« Les franchises, multipliées par quatre depuis 2008, créent du renoncement aux soins chez les ménages modestes ou atteints de maladies chroniques. », explique-t-il. Quant à l’AME, elle est un outil de santé publique qui permet d’éviter la propagation de maladies, et non un levier de politique migratoire : « Refuser les soins aux plus fragiles, c’est fragiliser toute la société. La santé, c’est le premier des droits de l’homme », rappelle-t-il.
Le Groupe VYV, acteur de terrain et investisseur mutualiste
Le Groupe VYV, rappelle Stéphane Junique, protège aujourd’hui 11 millions de Français avec ses différentes mutuelles (Harmonie Mutuelle, MGEN, MNT, etc.) et gère 1 800 établissements de soins avec 45.000 collaborateurs. Il est également 4ᵉ opérateur de logement social du pays, avec plus de 210.000 logements. « En trois ans, nous avons investi 500 millions d’euros dans les territoires pour renforcer l’accès aux soins », rappelle Stéphane Junique.
A ce titre, sa voix porte plus que d’autres. Dans son essai La santé est un combat pour transformer la société (éditions du Cherche Midi), Stéphane Junique défend une vision militante : « La santé doit redevenir un moteur de transformation sociale. C’est un combat collectif, pas une marchandise », estime celui qui parle non seulement en tant que président de groupe, mais aussi en tant que professionnel de santé.
« Sortir la santé de la logique de rentabilité »
D’ailleurs, face à la montée des fonds d’investissement dans les secteurs du soin, de la petite enfance ou du grand âge, le dirigeant mutualiste alerte sur les dangers de la financiarisation : « Certains fonds ne voient que le rendement à deux chiffres. Mais la santé n’est pas un secteur comme les autres. Chercher la rentabilité à tout prix, c’est fragiliser la qualité de la prise en charge. »
Il plaide pour une régulation plus stricte des appels d’offres publics, souvent « tirés vers le bas par le critère du prix » : « Quand on baisse artificiellement le coût d’un berceau en crèche, la seule variable d’ajustement, c’est la qualité du service. »
Fraude, prévention, coordination : trois leviers pour sauver la Sécu
Dans la séquence « La Boite à Solutions », Stéphane Junique nous livre ses clés pour combler le déficit de la Sécurité sociale sans abîmer le modèle solidaire.
D’abord, lutter contre la fraude, estimée à 2 milliards d’euros par an : « Ce n’est pas un détail, c’est une question de contrat social ». Ensuite, améliorer le suivi des pathologies chroniques : « 250 000 hospitalisations pourraient être évitées chaque année avec un meilleur accompagnement en ville. ». Enfin, renforcer le rôle des mutuelles dans la coordination et la prévention : « Personne ne veut privatiser la Sécu, mais on peut mieux articuler la solidarité nationale et les acteurs mutualistes.
« Nous avons besoin d’une boussole : une stratégie nationale de santé »
Surtout, le président du Groupe VYV déplore l’absence de vision claire sur la stratégie nationale de santé : « Depuis 2023, nous n’avons plus de cap. Quels sont les objectifs prioritaires de santé publique ? Personne ne le sait. » Une situation d’autant plus préoccupante que les acteurs de terrain – soignants, mutuelles, associations – « avancent dans le brouillard », estime-t-il.
Le groupe VYV, lui, concentre ses actions de prévention sur la santé mentale et l’activité physique, deux déterminants majeurs. Mais il souhaiterait mieux s’inscrire dans une stratégie d’ensemble nationale.
Alimentation et santé : l’alliance entre VYV, Up Coop et Biocoop
Un troisième levier d’action lui paraît essentiel : l’alimentation. Pour Stéphane Junique, « bien manger, c’est déjà se soigner ». Il explique ainsi pourquoi le Groupe VYV vient de nouer une alliance avec Up Coop et Biocoop, visant à expérimenter une carte d’accès à une alimentation durable pour les salariés modestes.
Financée par les entreprises via le haut degré de solidarité de leurs contrats collectifs, « cette carte permettra à certains salariés fragiles d’accéder à des produits sains et locaux dans des réseaux conventionnés. C’est une manière concrète de faire de l’alimentation un déterminant de santé. »
Cotisations mutualistes : « Oui, elles vont augmenter »
Sur la question sensible du pouvoir d’achat, Stéphane Junique ne cache pas son inquiétude : « Oui, les cotisations des mutuelles vont encore augmenter en 2026, car le gouvernement veut prélever une taxe d’un milliard d’euros sur le secteur », affirme-t-il.
Stéphane Junique réfute le discours selon lequel les mutuelles seraient « trop riches » : « Ce que certains appellent un “trésor caché”, ce sont des provisions réglementaires », imposées par l’État aux mutuelles, pour qu’elles puissent « garantir les risques santé de nos adhérents ». La posture de l’État sur le sujet apparaît comme largement paradoxale.
« Refaire de la santé un bien commun »
Au fil de l’entretien, Stéphane Junique rebondit aussi sur l’actualité : la présence des mutuelles sur La REF, l’événement de rentrée du Medef. Mais aussi l’incroyable réussite du Zevent, cet événement en ligne qui a collecté 16 millions d’euros en trois jours pour des associations du secteur de la santé. Ou encore la figure de l’acteur Reda Kateb, nouveau parrain de l’association Le Rire Médecin.
Tout au long de cette interview, Stéphane Junique défend une idée-force : « La santé n’est pas un coût, c’est un investissement. Elle doit redevenir un bien commun ». Pour lui, les mutuelles – piliers historiques de l’économie sociale et solidaire – ont un rôle clé à jouer dans la reconstruction d’un système plus juste, plus humain et plus durable : « Nous devons réconcilier la santé avec la solidarité. C’est une urgence démocratique. »
Émission à (re)voir
👉 L’interview intégrale de Stéphane Junique dans ESS On Air :