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Stratégie nationale de l’ESS : des ambitions encore trop mesurées

Le document n’est pas encore finalisé, mais il circule déjà. La nouvelle Stratégie nationale pour le développement de l’économie sociale et solidaire, pilotée par l’ancienne ministre déléguée à l’ESS Véronique Louwagie – qui n’a pas été remplacée dans le gouvernement Lecornu – est en cours de consolidation à Bercy, avant sa transmission officielle à la Commission européenne prévue d’ici à la fin de l’année. 

Après une large consultation des représentants du secteur, l’exécutif y esquisse plusieurs pistes d’action. Mais le texte, ambitieux dans le discours, reste mesuré dans les moyens. Jadis locomotive de l’ESS en Europe, la France semble clairement avoir perdu son rang, faute d’ambition.

Développer l’ESS en nombre d’acteurs, plutôt qu’en moyens

Le premier axe de cette feuille de route ambitionne d’accroître le nombre de structures de l’économie sociale et solidaire sur le territoire. Le gouvernement affiche un objectif de 5 000 entreprises ESUS (Entreprises solidaires d’utilité sociale) d’ici à 2035, contre 3 000 aujourd’hui. Il vise aussi 10 000 sociétés commerciales de l’ESS – qui n’auront donc pas nécessairement demandé ou obtenu l’agrément ESUS. 

Ces objectifs chiffrés témoignent d’une volonté d’élargir la base entrepreneuriale de l’ESS, notamment du côté des jeunes entreprises sociales et des structures hybrides. Mais pour l’heure, aucune mesure budgétaire n’est annoncée pour suivre cette stratégie. 

L’État privilégie plutôt la mobilisation de partenaires financiers existants – Banque des Territoires, Bpifrance, la finance solidaire – ainsi que la généralisation des conventions pluriannuelles d’objectifs (CPO) pour sécuriser financièrement les associations. Autrement dit : plus de visibilité, mais pas plus de financement.

Financer l’ESS sans argent public

Le deuxième axe de la stratégie mise, justement, sur le développement des financements privés solidaires. Le gouvernement prévoit notamment une campagne nationale de communication pour inciter les citoyens à faire des dons à partir notamment de leurs livrets de développement durable et solidaire (LDDS). Un levier symbolique et à fort potentiel, qui pourrait contribuer à rediriger l’épargne vers l’impact social et environnemental si la communication grand public est bien organisée.

Les institutions financières publiques resteront pour leur part mobilisées, assure le document, mais dans le cadre de leurs missions actuelles : la Banque des Territoires pour l’investissement de proximité, Bpifrance pour l’innovation sociale. Comprendre : l’enveloppe d’argent public n’augmentera pas. 

En revanche, le gouvernement promet une simplification administrative et un dialogue fiscal renforcé autour de la taxe sur les salaires, que l’UDES appelle à supprimer depuis plusieurs années car elle frappe les employeurs de l’ESS et non les entreprises classiques. Dans certains secteurs d’activité, voilà qui crée une distorsion de concurrence.

L’exécutif s’engage également à soutenir le développement du mécénat de compétences et des coopérations entre acteurs publics, privés et de l’ESS dans les territoires.

Quelques avancées structurelles

Le texte en cours de finalisation évoque aussi des mesures de reconnaissance institutionnelle :

  • la création d’un compte satellite de l’Insee, afin de mieux mesurer le poids économique et social de l’ESS dans les statistiques publiques ;
  • l’intégration d’orientations budgétaires annexées à la LOLF, pour assurer un suivi transparent des moyens alloués à l’ESS ;
  • l’augmentation du nombre d’ambassadeurs de l’ESS dans les préfectures, en nombre insuffisant sur certains territoires.

Enfin, l’État envisage de garantir la place de l’ESS dans les filières de réemploi et de recyclage, notamment dans les filières à responsabilité élargie des producteurs (REP), afin de consolider son rôle dans les transitions écologiques et sociales. Ce serait une grande avancée.

Une ESS française à la croisée des chemins

Consultation large, vision transversale, mais financements limités et propositions parfois incantatoires : cette stratégie, encore en gestation, reflète la difficulté persistante à faire de l’ESS une priorité nationale. 

Pendant que l’Espagne, le Portugal ou la Belgique s’affirment comme nouveaux pôles d’innovation sociale en Europe, la France semble vouloir avancer sans heurts, mais aussi sans élan. Le document final dira si cette prudence cache une méthode, ou une occasion manquée.

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