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La Nuit du Bien Commun lance son opération “blanchiment philanthropique”

La Nuit du Bien Commun multiplie les galas en région ces dernières semaines… mais aussi les polémiques. Confrontée à une contestation politique de plus en plus vive, l’organisation née en 2017 sous l’impulsion du milliardaire Pierre-Édouard Stérin – soutien affiché de l’extrême-droite française – vient d’annoncer discrètement la « mise en retrait » de ses fondateurs : Stanislas Billot de Lochner, Thibault Farrenq et Pierre-Edouard Stérin lui-même.

À l’évidence, la manœuvre vise à désamorcer les critiques sur les accointances idéologiques entre la Nuit du Bien Commun et ses fondateurs, dont les liens présumés avec l’extrême-droite font l’objet d’alertes répétées de la part d’élus et d’associations (lire cet édito sur Mediatico).

Voilà qui pose au trois questions. Si ces fondateurs sont mis en retrait, c’est qu’ils n’étaient pas bien loin : les organisateurs de la Nuit du Bien Commun ont-ils donc menti à Mediatico en affirmant en décembre dernier que Pierre-Édouard Stérin s’était déjà retiré de l’affaire ? Ensuite, le milliardaire se retire-t-il de la structure événementielle, ou du fonds de dotation, ou du fonds d’investissement, qui portent tous trois le nom de « Bien Commun » ? Selon le Figaro, il semble s’agir d’un retrait du fonds de dotation. Enfin, s’agit-il de simplement masquer les liens entre la Nuit du Bien Commun avec l’extrême-droite, ou de nettoyer véritablement les écuries d’Augias ? L’avenir le dira.

Pierre-Edouard Stérin, éjecté de la Nuit du Bien Commun ?

Concernant la partie événementielle de cette « galaxie du Bien Commun », qui est en lien direct avec les associations de solidarité sur l’ensemble du territoire national, les organisateurs des Nuits du Bien Commun revendiquent une démarche purement caritative et philanthropique : levées de fonds en public pour soutenir des associations locales d’insertion, de solidarité ou d’éducation… Mais les opposants y voient une entreprise d’influence politique bien rodée, destinée à « recycler l’idéologie réactionnaire sous le vernis du bien commun ». 

À Nantes, le 5 juin, la contestation a culminé. Trente organisations de gauche et d’extrême gauche ont tenté d’organiser une mobilisation contre le gala prévu à la Cité des Congrès. Préfet et forces de l’ordre ont verrouillé tout un périmètre du centre-ville. Manifestations interdites, mesures de sécurité maximales : pour un gala caritatif, le contraste est saisissant.

Malgré les appels à l’apaisement, la tension ne faiblit pas. Et pour cause : le principal artisan de la Nuit du Bien Commun, Pierre-Édouard Stérin, est au cœur d’une commission d’enquête parlementaire sur « l’organisation des élections en France ». Les députés cherchent à l’entendre sur son projet Périclès, une structure discrète mais puissante qui vise explicitement, selon les documents révélés par L’Humanité, à faire émerger une nouvelle élite politique conservatrice, enracinée, chrétienne, identitaire.

Exfiltration stratégique des fondateurs

Face à cette pression médiatique, institutionnelle et militante, l’organisation de la Nuit du Bien Commun vient de franchir un cap : elle annonce que ses fondateurs, dont Pierre-Édouard Stérin, « ne font plus partie de l’équipe dirigeante ». Une décision officiellement motivée par la « nécessité de garantir la neutralité du projet » philanthropique. Mais le milliardaire n’interviendra-t-il pas encore en coulisses ? Plusieurs sources associatives confirment à demi-mot que sa mise à l’écart consiste surtout en une « opération cosmétique » pour « éviter l’effondrement du modèle » des événements philanthropiques, très rémunérateur.

Selon la presse locale, Stérin continue de promouvoir les galas depuis la Belgique, où il s’est exilé fiscalement, et reste mécène de plusieurs projets satellites, dont certains à l’identité encore plus marquée, comme Murmures de la Cité, un « spectacle vivant » à Moulins, très inspiré du Puy du Fou de Philippe de Villiers. Là encore, les liens avec la droite catholique traditionaliste sont revendiqués, et les financements publics bien présents.

Le malaise des élus

À Tours, où le gala s’est tenu le 6 mai dernier, c’est le maire écologiste Emmanuel Denis qui a tiré la sonnette d’alarme. Dans une tribune cosignée avec huit autres maires de gauche, il dénonce « une imposture morale » et une « récupération idéologique ». Même ton à Toulouse, où le prochain événement prévu le 18 juin suscite d’ores et déjà l’hostilité de plusieurs syndicats et collectifs locaux.

À l’inverse, certaines collectivités continuent de soutenir les événements, parfois contre l’avis d’une partie de la population. C’est le cas de la Région Pays de la Loire, présidée par Christelle Morançais (Horizons), principal soutien public de l’événement. Malgré les critiques, elle assume publiquement ce choix, tandis que l’élu régional LR Alexandre Thébault — très actif dans les réseaux conservateurs — pilote le partenariat en coulisses.

Une réponse judiciaire et politique

La tension est telle que Pierre-Édouard Stérin a porté plainte pour « menaces de mort », après qu’un collage revendiqué par le Collectif Féministe de Tours a appelé symboliquement à sa décapitation. Son avocat évoque « 24 menaces » au total, justifiant son refus – inédit – de se rendre à l’Assemblée nationale pour témoigner devant une commission parlementaire. Mais sa défense ne convainc pas les députés de la commission d’enquête : « Il n’est pas au-dessus des lois », a martelé Thomas Cazenave (Renaissance), président de la commission, qui vient de saisir la justice pour forcer l’homme d’affaires à se présenter.

À ce stade, la polémique dépasse largement le cadre de la philanthropie. Derrière les paillettes, les levées de fonds et les belles histoires associatives, c’est un affrontement politique de fond qui se joue : celui entre une certaine idée du « bien commun », partagée par une galaxie conservatrice en quête de légitimité morale, et des acteurs progressistes qui refusent de voir la charité servir de cheval de Troie à un projet politique réactionnaire. Les militants associatifs ne doivent pas s’y laisser prendre.

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