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Circulaire Retailleau : la colère des ONG

« Écouter les décisions politiques qui heurtent est une chose. Les vivre dans son association, c’en est une autre ». Voilà ce qu’ont ressenti jeudi dernier nombre de responsables associatifs, après que le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a décidé de durcir les conditions de régularisation des étrangers en situation irrégulière, par le biais d’une circulaire adressée jeudi à l’ensemble des Préfets. La procédure d’« admission exceptionnelle au séjour » n’est « pas la voie normale » d’immigration, écrit le ministre de l’Intérieur dans la circulaire relayée par l’avocate engagée Audrey Grisolle (lire la circulaire). Pourtant, cette voie est souvent la seule possible pour nombre de migrants qui viennent en France pour des raisons humanitaires, familiales ou économiques, ont fait valoir la LDH, la Cimade, France Terre d’Asile, Singa… et tant d’autres acteurs de l’économie sociale et solidaire, clairement en colère. 

Avant la circulaire Retailleau, la circulaire Valls acceptait que les préfets approuvent les demandes de régularisation « en tenant compte notamment de leur intégration dans la société française, de leur connaissance des valeurs de la République et de la maîtrise de la langue française ». Fin de la récréation ! Les familles avec enfants ou les travailleurs en situation irrégulière devront attendre sept ans, au lieu de cinq actuellement, pour sortir de la clandestinité. Ce qui revient de facto à encourager cette clandestinité, ainsi que les situations d’exploitation de la précarité qui en découlent, alors que la situation actuelle est déjà un non-sens : pour pouvoir être régularisées, les personnes qui travaillent doivent prouver avoir travaillé, sans en avoir le droit !

La circulaire renforce aussi les exigences sur le niveau de langue française, qui devra être validé par un diplôme ou une certification. Mais comme l’Etat ne s’en donne pas les moyens et comme le « niveau de langue » n’est pas défini, la circulaire ouvre la porte aux officines privées « agréées », qui feront de l’apprentissage du « Français langue étrangère » un nouveau business profitable, sur le dos de la misère humaine. Un scandale semblable à celui qui prévaut pour la régularisation des sans-papiers : face aux lenteurs des préfectures, en effet, les France-regularisation(.)fr, Papiers-france(.)com ou autres Papiers-etrangers(.)com fleurissent. Elles font payer 1500 euros la vérification d’un dossier de régularisation, qui ne sera ni mieux traité, ni plus vite, que par la voie classique.

L’idéologie à l’épreuve des chiffres

L’idéologie de cette droite dure est tenace, malgré les chiffres qui devraient leur faire raison garder. Les arrivées irrégulières de migrants aux frontières de l’Union européenne ont ainsi baissé l’an dernier de 38 %, selon Frontex. Les migrants irréguliers sont par ailleurs à 90 % des hommes, qui représentent une force de travail importante pour nos entreprises. « L’abrogation de la circulaire Valls était redoutée par le patronat qui mettait en avant les besoins en main-d’oeuvre immigrée dans plusieurs secteurs en tension, précisent d’ailleurs Les Echos. Sur les 34.724 personnes qui ont été régularisées en France au cours de l’année 2023, 11.525 l’avaient été pour leur travail, près de deux fois plus pour motif familial, et le millier restant sous statut d’étudiant ».

Ekrame Boubtane, membre du Cercle des Économistes, pointe pour sa part que, dans un contexte de vieillissement de la population française, l’immigration est un facteur clé de la croissance de la population active, avec un effet positif sur les perspectives de croissance économique : « L’immigration contribue à augmenter certaines dépenses publiques, relève-t-elle, mais elle contribue également à augmenter la production nationale et permet ainsi de réduire la charge des dépenses publiques consacrées aux personnes âgées. De plus, les immigrés paient des impôts directs et indirects, ainsi que des cotisations sociales [sans pour autant bénéficier de droits à la Sécurité sociale, ndlr]. L’immigration ne pèse pas sur les finances publiques, conclut-elle, y compris lorsqu’il s’agit de l’accueil des demandeurs d’asile ».

La réaction des ONG et des associations de solidarité 

Pour la LDH, cette nouvelle circulaire va « renforcer une politique qui ne fonctionne pas, augmenter la misère, la précarité et les souffrances humaines (…), dans le prolongement d’une campagne de désinformation qui assimile immigration et délinquance », alors que moins de 2% des OQTF ont pour origine une condamnation pénale. La Ligue des Droits de l’Homme souligne en effet que le nombre d’Obligations de quitter le territoire français (OQTF) est bien supérieur en France que chez nos voisins européens : deux fois plus qu’en Espagne, trois fois plus qu’en Allemagne. 
La Cimade, nommément mise en cause par Bruno Retailleau dans une interview à l’Express, dénonce pour sa part la méconnaissance du droit par le ministre et le non-respect dont il fait preuve envers la liberté associative. La Cimade rappelle aussi son attachement à l’état de droit et interpelle : « Au lieu de s’en prendre aux associations de solidarité, le ministre de l’Intérieur devrait être le garant du cadre légal et des libertés publiques, des éléments qui ne devraient pas être mis en cause sous prétexte d’octroi de financements publics. Contrairement à lui, nous pensons que les associations qui s’investissent au quotidien pour l’entraide, la solidarité, le respect des droits et la dignité de toutes et de tous font l’honneur et la fierté de notre pays ».

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