Au moins François Bayrou n’a-t-il pas oublié l’économie sociale et solidaire ou la vie associative en choisissant les membres de son gouvernement le 23 décembre dernier. Evitant le faux-pas commis par Elisabeth Borne en 2022, il a en effet nommé Véronique Louwagie comme ministre déléguée chargée du Commerce, de l’Artisanat, des PME et de l’Économie sociale et solidaire, ainsi que Marie Barsacq comme ministre des Sports, de la Jeunesse et de la Vie associative.
Peu connue du grand public, Véronique Louwagie n’a pas d’ancrage connu dans l’ESS, mais son parcours lui permettra de comprendre assez vite les réalités du secteur. Née en 1961 dans une famille d’agriculteurs, elle est diplômée d’expertise comptable et commissaire aux comptes, donc très au fait des rouages de l’économie privée. Élue députée de l’Orne en 2012 et constamment réélue depuis, également maire de L’Aigle de 2014 à 2017, elle siège au sein du groupe LR à l’Assemblée nationale, dont elle est membre de la commission des Finances depuis 2014.
Interviewée sur France Info le 31 décembre, Véronique Louwagie n’a pas évoqué l’ESS, les territoires ou la résilience de l’économie. Enjeu politique oblige, elle a préféré centrer son discours sur le budget 2025 : « Nous avons besoin d’un budget pour que les collectivités territoriales savent où elles peuvent aller, pour que les entreprises aient de la visibilité et de la lisibilité. Les entreprises ont besoin pour investir, se développer, embaucher. La priorité c’est un budget », a-t-elle déclaré (lire ici). Mais quel budget défendra celle qui avait été chargée par l’ex-gouvernement Barnier, juste avant qu’il ne soit censuré le 4 décembre 2024, d’une mission « sur la simplification administrative comme source de réduction des dépenses de l’État », comme l’a révélé Localtis (lire ici) ?
Premières réactions à la nomination de Véronique Louwagie
Pour Hugues Vidor, président de l’UDES, « la nomination de Véronique Louwagie en tant que ministre déléguée à l’Économie sociale et solidaire est un signal encourageant » (lire ici). L’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (UDES) voit en effet cette nomination de rang ministériel comme « la reconnaissance du rôle fondamental de l’ESS, secteur clé de l’économie française, regroupant près de 220 000 structures employant plus de 2,5 millions de salariés et représentant 10 % du PIB national ».
« Si l’on peut se féliciter que l’ESS continue à être mentionnée dans les responsabilités d’un membre du gouvernement, on peut toutefois s’interroger sur la prise en compte que fera une ministre qui a plus, en tant que députée, marquée son intérêt pour le monde économique classique que pour l’ESS », relève Michel Abhervé dans son blog sur Alternatives Économiques (lire ici), précisant au passage qu’elle souhaitait l’an dernier supprimer le financement du SNU, le Service national universel.
De fait, les positions politiques de Véronique Louwagie ont été jusqu’ici peu favorables à l’ESS et aux revendications progressistes des associations. Elle s’est opposée aux 35 heures, à la loi du Mariage pour tous et à la loi sur le non-cumul des mandats, rappelle Wikipedia. Elle est aussi pour le « travailler plus pour gagner plus […] pour que le travail rapporte plus que l’assistanat ». Elle est également favorable au déremboursement de l’IVG hors cas de « détresse ». Favorable aussi au report de l’âge légal de la retraite à 64 ans, toujours au coeur de l’actualité.
Enfin, Véronique Louwagie souhaitait en 2023 durcir l’accès à l’aide médicale d’État pour les étrangers en situation irrégulière et elle pointait fin 2024 les dépenses publiques liées à l’immigration. Par ailleurs, elle a été condamnée aux Prud’hommes en 2022 à verser 15.635 euros à son ancienne femme de ménage, employée sans contrat et licenciée durant un arrêt de travail, dont 5.000 euros au titre du préjudice lié à la discrimination (lire ici). Les discussions entre Véronique Louwagie et Benoît Hamon, président d’ESS France et directeur général de l’ONG Singa, qui travaille à l’inclusion des migrants, risquent d’être difficiles.
Les grands chantiers pour l’ESS
Si elle souhaite être à l’écoute des acteurs de l’ESS, la ministre aura plusieurs chantiers de taille à relever. Timothée Duverger, responsable de la Chaire TerrESS à Sciences Po Bordeaux, les évoquait déjà lors de la nomination de la précédente ministre, Marie-Agnès Poussier-Winsback, voilà à peine trois mois : « Établir une loi de programmation pour le financement de l’ESS, soutenir les dynamiques territoriales de l’ESS, démarchandiser le secteur social et médico-social, porter un projet de loi ESS préparé par la délégation ministérielle »…
Ajoutons-y la trajectoire pour l’ESS de la France, toujours attendue par Bruxelles. Ou le renforcement des liens entre l’État, les collectivités locales et les acteurs associatifs, pour bâtir des solutions durables adaptées aux nouveaux enjeux sociaux, à la transition écologique ou à l’intelligence artificielle. Sans oublier la question du budget de l’ESS, qui nécessite d’être sanctuarisé à Bercy, pour soutenir notamment les DLA (Dispositifs locaux d’accompagnement) et les PTCE (Pôles territoriaux de coopération économiques).
Pour y voir plus clair dans les priorités du gouvernement Bayrou pour l’ESS, pour l’emploi et pour l’économie, attendons le discours de politique générale du Premier ministre. Il s’exprimera le 14 janvier, devant l’Assemblée nationale.