C’est une nouvelle qui frappe au cœur de l’action humanitaire en France : Xavier Emmanuelli, fondateur du Samu Social et pionnier de Médecins sans frontières, est décédé suite à un malaise cardiaque ce dimanche 16 novembre, à l’âge de 87 ans. Médecin anesthésiste-réanimateur, humaniste infatigable, il avait transformé sa colère devant l’abandon des sans-abri, en action concrète. Inspiré par ses consultations dans un centre pour sans-abri à Nanterre, il y avait adapté les méthodes d’urgence médicale, créant des équipes mobiles de soutien pour ceux que notre société ignore.
Xavier Emmanuelli a façonné des décennies de solidarité en France et dans le monde, en fondant le Samu Social de Paris en 1993, puis le Samu Social international en 1998. Pourtant, malgré son engagement sans faille dédié à la protection des plus vulnérables, malgré ses fonctions de secrétaire d’État à l’action humanitaire d’urgence (1995‑1997), puis de président du Haut Comité au logement des personnes défavorisées (1997‑2015), et malgré les nombreux et vibrants hommages politiques qu’il a reçus ce dimanche, la précarité ne recule pas en France, bien au contraire. Alors, c’est décidé : sur la précarité, sur le logement, sur la fiscalité (lire ci-dessous), la France du coeur ne lâche rien !
Cette semaine, les Restos du Cœur lancent leur campagne d’hiver, dans un contexte où 10 millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté et 340 000 dorment dans la rue. Ce dernier chiffre a doublé en dix ans. Jean-Michel Richard, élu le mois dernier président bénévole des Restos du Cœur pour un mandat de cinq ans, succède à Patrice Douret, qui avait déjà lancé l’alarme voilà trois ans (lire notre article). Aujourd’hui, Jean-Michel Richard décrit une situation extrêmement lourde à porter pour des équipes déjà épuisées, mais toujours debout.
Aux Restos du Cœur, une demande qui change de visage
Car depuis cinq ans, les crises successives ont transformé le profil des bénéficiaires des Restos. La moitié ont moins de 25 ans, et les parents et grands-parents sont de plus en plus nombreux à frapper à leurs portes. Devant cette « transmission intergénérationnelle de la précarité », la petite enfance constitue l’une des priorités de Jean-Michel Richard, qui veut à tout prix éviter que ces enfants ne s’enlisent dans un cercle de difficultés. Il le rappelle à qui veut l’entendre, chaque euro compte : « Un euro finance un repas, donc il n’y a pas de petit don ». Les Restos du Cœur, qui servaient 8,5 millions de repas en 1985 à l’époque de Coluche, en servent à présent 163 millions. Ils tiennent grâce à leurs indispensables 75 000 bénévoles !
Le Secours catholique prépare pour sa part un plan social. Quel paradoxe ! Pour la première fois depuis sa création en 1946, en effet, l’association va réduire ses effectifs, supprimant 130 postes sur 932 (lire notre article). Une décision douloureuse pour une organisation qui mobilise elle aussi 60 000 bénévoles au service des plus précaires, et un signal préoccupant pour tout le secteur. La symbolique est forte : même les structures historiques, piliers de la solidarité française, sont confrontées à une brutale raréfaction des moyens. Des contraintes financières sérieuses, des départs sur la base du volontariat, pour un plan de transformation et de recentrage sur des actions de proximité… Le Secours Catholique traverse un moment difficile, mais il va se relever.
Dons des particuliers : une réforme qui peut tout changer
Heureusement, la générosité des Français est durable. Elle pourrait même s’accroître ! Car dans le cadre du débat parlementaire sur le projet de budget 2026, l’Assemblée nationale a adopté la semaine dernière en première lecture une réforme de la « niche Coluche » (encore lui). Cette disposition fiscale, qui permettait aux seuls foyers imposables de déduire 75 % de leurs dons aux associations (jusqu’à 1 000 €), devrait devenir désormais un « crédit d’impôt » remboursable par l’Etat, y compris aux ménages non imposables. Une avancée majeure pour permettre à tous, assujettis ou non à l’impôt sur le revenu, de soutenir les associations : pour la première fois, même les ménages non imposables pourront bénéficier d’un soutien fiscal pour leurs dons.
Autre avancée fiscale, sur le mécénat pluriannuel des entreprises pour les associations : un amendement du PLF 2026 a créé la semaine dernière un “bonus” pour les entreprises qui signent une convention de trois ans ou plus avec un organisme d’intérêt général, leur permettant désormais de doubler le plafond de déduction fiscale : celui-ci passera de 20 000 € ou 0,5 % du chiffre d’affaires à 40 000 € ou 1 % pour les plus engagées. Cette mesure est à saluer, car elle favorise le financement stable et de long terme pour les associations. Dans un contexte où les subventions diminuent, ces dispositifs sont essentiels pour consolider l’action sociale. Reste à savoir si le Sénat retiendra ces dispositions, lorsqu’il examinera le projet de budget 2026…
Budget, logement, précarité : les associations en état d’alerte
En attendant, les associations ne lâchent rien sur le budget : le Pacte du pouvoir de vivre, par exemple, analyse chaque modification et alerte l’opinion. Il publie un tableau détaillé, régulièrement mis à jour, des mesures budgétaires du budget 2026 qui affecteraient les solidarités et l’environnement (découvrir ce tableau). Ce collectif rassemble associations, syndicats, fondations et mutuelles, et met en lumière l’effet cumulatif de décisions qui, prises séparément, semblent anodines, mais qui, ensemble, affaiblissent tous les mécanismes de solidarité.
Sur la question du mal-logement, enfin, la situation est alarmante et les associations appellent l’Union européenne à mettre en place un plan « crédible » contre la crise du logement en Europe. Face à l’explosion des loyers et à la montée de la précarité, la Feantsa et la Fondation pour le logement des défavorisés alertent sur la marginalisation des ménages les plus modestes : 16,5 millions de ménages européens dépensent plus de 40 % de leurs revenus pour se loger, et près de 1,3 million de personnes vivent sans abri dans l’UE.
Les associations appellent d’urgence à renforcer les logements sociaux afin que la crise du logement ne devienne pas une crise sociale irréversible. Elles mettent en garde : si le futur plan européen se concentre sur les classes moyennes, le logement social destiné aux plus vulnérables risque d’être dilué, compromettant radicalement l’objectif de zéro sans-abri en 2030.
Feu Xavier Emmanuelli s’en retournerait dans sa tombe, et notre ami Coluche aussi. Alors, face aux crises imbriquées du logement, de la santé et de la précarité, tenons haut le flambeau de l’action associative. Rempart fragile, mais indispensable, d’une solidarité que notre société proclame, mais peine à protéger.


