L’ACTU

MEDIATICO – L’ACTU

Antoinette Guhl : « L’ESS n’est plus une économie marginale, comme il y a 10 ans »

Sous quel signe seront placés les 10èmes Trophées parisiens de l’ESS, que vous décernerez le 12 novembre ?

Sous le signe de la réussite. Cette 10e année est un moment important pour l’économie sociale et solidaire à Paris, non seulement parce qu’elle marque un anniversaire, mais aussi parce que nous avons réussi à changer d’échelle à Paris : l’ESS n’est plus une économie marginale comme il y a 10 ans, elle devient une économie appréciée, comprise des Parisiens, parce qu’elle permet de trouver des solutions à des problèmes concrets du quotidien. Aujourd’hui, on a besoin de réinventer notre système économique et l’ESS y concourt, en ayant un pas d’avance sur l’économie classique. Longtemps, l’ESS courait derrière les entreprises pour essayer de se développer. Aujourd’hui, c’est l’inverse : les entreprises ont besoin d’innovations, de trouver des idées nouvelles, de nouvelles façons de penser le monde. La réussite, c’est de voir que cette économie sociale et solidaire devient une économie capitale,  qui annonce une future forme de l’économie.

Je ne pense pas que les entreprises à mission et l’économie sociale et solidaire se rejoignent. Il aurait fallu penser une forme de transition entre l’économie classique et l’ESS. Comme pour la bio par exemple : quand les agriculteurs veulent passer au bio, il y a 3 années de transition, qui sont  importantes pour passer d’un monde à l’autre, pour passer d’une ancienne société à la nouvelle que l’on veut construire. Pour l’ESS, c’est pareil : il aurait fallu donner 3 années de transition aux entreprises classiques pour qu’elles deviennent sociales et solidaires. Ce n’est pas du tout ce qui a été prévu, j’en suis très déçue.  

En 10 ans, comment Paris s’est-elle transformée, avec ou grâce aux structures de l’ESS ?

Nous avons vu la transition se faire. Les commerces et les entreprises qui exerçaient une activité traditionnelle se sont réinventés avec l’économie sociale et solidaire, tout en ayant pignon sur rue. On a beaucoup parlé des circuits courts, des Amaps, des groupements d’achat, et c’est très bien. Mais nous avons aussi vu naître de nouveaux modèles solidaires qui se placent comme une alternative à l’échelle de tout un quartier face à la grande distribution, avec des ressourceries, des magasins en vrac sous forme coopérative, des ateliers de couture et de bricolage partagés… Ces initiatives, que nous avons accompagnées notamment par la recherche de locaux, réinventent l’espace public et modifient à la fois la forme de la ville et les relations entre les individus. 

Le deuxième élément-clé, c’est la question de l’écologie. J’ai voulu placer cette question au cœur de l’ESS et je pense que c’est une réussite. Les élus impriment leur marque, leur vision politique. Moi, j’ai voulu l’imprimer en reliant l’économie sociale et solidaire et l’économie circulaire, pour les mettre au service de l’écologie car elle incarne les solutions qui s’inventent chaque jour sur les territoires pour répondre aux crises.

Nous ne sommes qu’au début du chemin, comment voyez-vous Paris dans 10 ans, à l’horizon 2030 ?

Les modes de consommation changent. L’économie sociale et solidaire est au carrefour de l’économie publique, de l’économie capitaliste et de la volonté citoyenne d’agir. Aujourd’hui , ce moteur de l’engagement porte sur les questions sociales, de lutte contre la pauvreté ou de l’écologie. A ce titre, l’ESS est le meilleur moyen pour que les citoyens deviennent des acteurs du changement, c’est une force d’entraînement vers une autre société. L’économie classique n’est pas adaptée aux grandes crises que nous traversons. L’ESS est cet outil qui va permettre à la société et aux habitants de se réapproprier l’économie. C’est l’outil de la nécessaire transition. 

Concernant le chemin qu’il reste à parcourir à Paris… Avez-vous lu le livre Ecotopia ? Il décrit la sécession de trois États de l’Ouest américain qui veulent créer une société écologique, avec des transports doux, des relations apaisées aux autres, un choix des bonnes matières, une société zéro déchet… Cet ouvrage a été écrit dans les années 1970. Les idées qui semblent nouvelles aujourd’hui et dont nous rêvons ont déjà été conceptualisées dans ce livre. 

Quant aux grands chantiers qui manquent encore à Paris, je vois d’abord celui d’une monnaie locale pour les Parisiens. C’est essentiel pour l’économie sociale et solidaire, car la monnaie n’est pas qu’une initiative de plus : c’est elle qui fait système. Pour construire une économie responsable, il faut réinventer les outils du système. Mon regret est de n’avoir pas été suivie durant cette mandature sur la mise en place d’une monnaie locale à Paris, même si nous l’expérimentons auprès des entreprises avec France Barter. Nous ne sommes pas allés assez loin sur ce sujet. Nous devons impliquer la commande publique et préparer nos institutions à ce risque-là.

Enfin, en tant qu’élus, nous devrions faire en sorte que chaque politique municipale sectorielle intègre l’ESS. Le rôle d’un élu a l’économie sociale et solidaire pourrait être de coordonner la politique du logement, la politique étudiante, celle de la famille, des seniors et de la petite enfance… Ce serait une autre manière de penser les politiques publiques, avec une autre forme d’économie. 

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