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Maxime Baduel : « L’ESS est une économie politique » 

Délégué ministériel à l’Économie sociale et solidaire depuis novembre dernier, Maxime Baduel accorde une longue interview vidéo à Mediatico où il s’exprime en détails sur les racines de son engagement personnel, sur la mise en oeuvre de sa feuille de route politique et sur sa vision stratégique pour l’économie sociale et solidaire, en France et en Europe.

La création de la délégation ministérielle à l’ESS est « un grand acte politique fort », souligne Maxime Baduel, qui témoigne d’un engagement durable du gouvernement en faveur de l’ESS. Directement rattaché au ministère de l’Économie et des Finances, il bénéficie du soutien administratif, technique et juridique « d’une quinzaine d’agents concentrés sur les problématiques de l’ESS » au sein de la Direction générale du Trésor et de la Direction générale de la Cohésion sociale. Et si son décret de nomination ne lui confie pas d’attribution « interministérielle », il l’assure : « L’ESS est interministérielle, parce qu’elle est présente dans tous les ministères, dans toutes les politiques publiques ».

Alors que la représentation de la vie associative n’est toujours pas précisée à cette heure au sein du gouvernement, bien qu’elle représente 1,5 million d’associations et 80% des structures de l’ESS, Maxime Baduel assure discuter d’ores et déjà avec ses instances de représentation et avec l’administration de la DJEPVA (direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative) : « Bien évidemment que je rencontre et que je parle quotidiennement avec le Mouvement associatif, que j’écoute leurs doléances, que je réponds à leurs problématiques, d’autant plus quand elles touchent les modèles économiques des associations employeuses ».

« Je ne viens pas d’un écosystème parisien, ni de grandes élites »

De façon plus personnelle, Maxime Baduel revient sur les racines de son engagement. Âgé de 33 ans, fort d’un parcours alliant déjà expérience publique, privée et entrepreneuriale, il explique que son attachement à l’ESS découle des valeurs de solidarité et de justice sociale enracinées dans son histoire familiale et territoriale. « Je ne viens pas d’un écosystème parisien, ni de grandes élites », raconte-t-il. Il a grandi dans le village de Merville en Haute-Garonne, qui compte 6.000 habitants aujourd’hui. «  À l’adolescence, on a l’impression que les choses sont figées : soit on est né du bon côté, soit il faut se bagarrer… Mon parcours est celui d’un gamin qui vient de la ruralité, qui a envie de jouer des coudes pour exister, pour lutter contre le déterminisme social. L’ESS a toujours apporté des réponses à ces problématiques de société ».

De ces racines, est née la conviction que les solutions sont sur les territoires. Il souligne le rôle crucial de l’ESS dans la préservation du lien social et dans la création de solutions citoyennes pour les citoyens, repoussant ainsi les limites de la justice économique. « Mon job est de tout faire pour que l’économie sociale et solidaire soit plus visible et qu’elle puisse se développer, c’est de lever tous les freins à son développement ». Au service de quelles causes, absolument indispensables ? 

Maxime Baduel cite notamment la lutte contre le mal-logement, la précarité alimentaire, l’insertion par le travail, ou encore l’accès aux droits… sans être exhaustif, bien sûr. Pour se rendre compte à quel point l’ESS est essentielle, « il faudrait regarder dans l’autre sens, c’est-à-dire enlever l’ESS et constater la dissolution du lien et les énormes trous que l’on créerait dans notre République ». 

Le vaste plan d’économies de l’Etat ne toucherait pas l’ESS 

Pour Maxime Baduel, la politique publique de l’ESS s’appuiera donc sur trois piliers : les territoires, les modes d’entreprendre, et le financement. Il veut renforcer l’approche territoriale, en consolidant les services déconcentrés de l’État, les Pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) et le financement des Chambres Régionales de l’ESS (CRESS), « qui font aujourd’hui beaucoup plus que ce qui est prévu par la loi ». A cet égard, il annonce une mission publique pour mieux dessiner le contour de l’ensemble de leurs missions et leurs besoins de financement. Il envisage aussi de renforcer leurs liens au coeur des territoires avec les Agences régionales de santé (ARS), avec les Chambre de commerce et de l’industrie (CCI) ou les Chambres des Métiers, mais aussi avec les délégations régionales de l’Ademe.

A l’heure du plan d’économie massif de 10 milliards d’euros annoncé par Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, cette articulation éviterait de solliciter davantage d’argent public. « Bien entendu, qu’il faut réfléchir à renforcer les moyens de l’ESS, donc il va falloir réfléchir à les rationaliser au regard d’une bonne compréhension de l’ESS ». Mais les effectifs de Bercy qui travaillent sur l’ESS ne seront pas touchés, assure-t-il.

Le contrat à impact n’est pas le sacre du financement de l’ESS

Concernant le financement de l’ESS, la doctrine bouge sur les contrats à impact social (CIS). En cours dans une trentaine d’expérimentations en France, ils sont décriés dans le monde associatif car ils financent sur fonds privés des missions d’intérêt général, que la puissance publique rembourse plus tard en versant des intérêts financiers. Pourquoi ne pas passer plus simplement par la subvention publique ? « Le contrat à impact n’est pas le sacre du financement de l’ESS », répond Maxime Baduel, « c’est un mode de financement de l’innovation sociale [mais] pour moi, il faut renforcer le rôle des banques publiques, de la Banque des territoires, de la BPI ».

Sur l’évolution du modèle économique des associations, il évoque trois axes complémentaires : la subvention, le renforcement de la trésorerie, ainsi que la réduction de charges. Il reconnaît les préoccupations associatives pour la logique des appels à projets, qui pousse impérativement à répondre à la commande publique pour obtenir des financements, retirant aux associations leur liberté d’initiative et de recensement des besoins locaux. 

Il se prononce aussi pour une diminution de la taxe sur les salaires dans l’ESS, « en premier lieu pour les associations », dont certaines sont en grande difficulté de financement, « avec des différences selon la taille des associations, leur masse salariale ou leur budget annuel ». Les discussions sont ouvertes avec le Mouvement associatif et avec ESS France, mais « il faut arriver à trouver une position qui fasse consensus à l’échelle du gouvernement (…) donc j’en parlerai avec mes deux ministres de tutelle ».

L’ESS, une économie politique… en France et en Europe

Répondant aussi sur la réforme de l’agrément ESUS ou sur l’appui à l’expérimentation TZCLD (Territoires zéro chômeur de longue durée), Maxime Baduel s’en remet à la discussion avec les différentes parties prenantes, allant des composantes d’ESS France… au Ministère du Travail qui a la charge de la politique de l’emploi et donc du budget – en baisse – affecté à TZCLD. Mais à ce sujet, il se dit prêt à « réouvrir le débat ». Quant à la question de l’évaluation des politiques publiques de l’ESS, il admet le manque de données publiques suffisantes et il dit l’importance d’’aboutir « dans les mois qui viennent » sur la création d’un compte satellite à l’INSEE pour mieux mesurer et mieux montrer la valeur ajoutée de l’ESS, afin d’en justifier le soutien financier.

L’échange se poursuit sur le rôle politique de l’ESS, Maxime Baduel abordant d’abord la question de l’unité des familles de l’ESS, soulignant l’importance de la diversité des acteurs tout en appelant à une plus grande cohésion pour renforcer le rapport de force avec l’économie conventionnelle. Il défend ensuite l’idée d’une « République du lien », où l’ESS joue un rôle crucial en renforçant la démocratie et en luttant contre le séparatisme social. 

Avant les élections européennes, le délégué ministériel appelle aussi à une participation active au scrutin de juin prochain, pour assurer une représentation politique favorable à l’ESS. Revenant sur le récent Forum de Liège, où 23 États-membres ont discuté de l’avenir de l’ESS en Europe, il souligne l’importance de cette nouvelle impulsion politique et technique en Europe, qui vise notamment à modifier les règles d’aide d’État pour qu’elles soient plus favorables à l’ESS dans tous les Etats européens. Cette avancée significative est aujourd’hui soutenue même par l’Allemagne.

L’ESS, un engagement anti Rassemblement National

Enfin, la montée du RN et l’échéance présidentielle de 2027 sont aussi une préoccupation. « Aujourd’hui, quand on dit que l’économie sociale et solidaire est politique, cela veut dire deux choses. Premièrement, elle doit être politique dans le sens de donner toute sa potentialité aux politiques publiques, parce qu’elle répond à des grands enjeux de transition écologique, sociale, économique, sociétale, par les citoyens et sur tous les territoires ».

« Mais c’est aussi une économie politique parce qu’elle renforce la démocratie. Je vais vous le dire en tant qu’ancien dirigeant associatif [chez SNL, ndlr] : le fait associatif, c’est la main tendue à des personnes qui sont en rupture avec notre société. C’est en cela que l’ESS lutte contre le séparatisme, qui est le plus grand risque pour notre démocratie. C’est ça la République du lien ». 


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